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Espace Cliniciens

Quelle validité pour la méthode des essais contrôlés en psychothérapie ?1

par Brigitte Lapeyronnie


L’évaluation des psychothérapies pose des problèmes de méthode.
Il semble aujourd’hui admis que la méthode idéale, en particulier dans les travaux s’inscrivant dans le paradigme de la « médecine factuelle » (Evidence Based Medicine), serait celle des essais2 contrôlés3 randomisés4 en simple5 ou double6 aveugle, méthode utilisée dans l’évaluation d’un nouveau médicament. C’est la méthode qui permettrait de dire que l’étude est « scientifique7 ».
Cette méthode repose sur des comparaisons de résultats entre un traitement X et un traitement Y8 bien distincts l’un de l’autre. Elle a comme fondement l’idée de causalité linéaire : si je donne X, cela entraîne un effet particulier et si je donne Y, cela induira (peut-être) un autre effet bien distinct. Pour de telles études, la répartition des patients à un groupe de traitement (traitement X ou Y) se fera selon le hasard. On supposera alors que tout changement chez un patient pourra être rapporté à l’effet spécifique du traitement X ou Y, l’ensemble des autres paramètres potentiellement actifs étant contrôlés.

Appliquée à la psychothérapie, cette méthode d’essai clinique contrôlé devient une étude des résultats d’un type particulier de psychothérapie « administrée » : si un patient se sent mieux ou que « ses caractéristiques mesurables » sont modifiées après une psychothérapie X, l’amélioration est supposée être le fruit des interventions spécifiques prescrites selon une méthode standardisée de thérapie. Il est en effet essentiel d’essayer d’obtenir un « pur traitement » dépourvu d’effets latéraux issus du contexte (incluant en particulier les facteurs « thérapeute »). Cette hypothèse repose lourdement sur l’idée que le thérapeute a effectivement utilisé des techniques bien particulières qui étaient prescrites et pas d’autres et qu’il adhère à une approche spécifique de traitement, c’est-à-dire qu’il s’y conforme strictement. Par ailleurs, il faut savoir que dans la méthode des essais cliniques contrôlés, on appelle variable dépendante le résultat du traitement (qui est habituellement mesuré sur l’Axe I du DSM) et variable indépendante le type de traitement administré, c’est-à-dire ici le type de psychothérapie.

J Stuart Ablon et Enrico E. Jones9, 10 , se sont intéressés de près à cette méthode : plusieurs études récentes suggéraient en effet que les thérapeutes étaient en fait incapables de suivre une série de techniques standardisées et « empruntaient » souvent d’autres techniques liées à d’autres thérapies, suivant le patient et la relation instaurée. Ces auteurs ont par exemple démontré que des traitements dits psychodynamiques et brefs comprenaient en fait de la part des thérapeutes, des interventions de type cognitivo-comportemental. Ils rapportent par ailleurs d’autres études montrant que des thérapeutes cognitivo-comportementalistes éminents utilisaient aussi des techniques psychodynamiques et que c’étaient ces techniques-là qui pouvaient être envisagées comme étant responsables du changement du patient.

Ablon et Jones ont donc voulu réaliser une étude pour examiner minutieusement les processus et les techniques de traitement qui sont effectivement utilisés lors d’une thérapie cognitivo-comportementale et lors d’une thérapie interpersonnelle brève11 et qui seraient responsables de l’amélioration des patients. Ils ont pour cela utilisé le programme de recherche NIMH sur la dépression, programme connu pour avoir la meilleure série de données12,13. L’étude de A. et J. tente de savoir si les théories cognitivo-comportementales et les théories interpersonnelles ont été appliquées en pratique et, si oui, comment. L’idée géniale de cette étude a été de reprendre les entretiens enregistrés en les soumettant à un instrument particulier le « Q-set sur le processus de psychothérapie ». Celui-ci propose un langage standard afin de décrire les processus de traitement et un modèle de référence de la séance idéale de traitement. Des juges experts de ces deux pratiques ont donc évalué avec le même instrument les retranscriptions des séances de thérapie. Ils ont pu ainsi mesurer jusqu’à quel point le traitement effectivement appliqué se conformait au manuel, ainsi que les résultats des thérapies.
Les résultats sont intrigants : les deux modèles de thérapie se conforment plus au prototype de thérapie cognitivo-comportementale qu’au prototype de thérapie interpersonnelle. La nature des processus avancée par les thérapeutes interpersonnels dans ce programme de recherche était en fait semblable à celle avancée par les thérapeutes cognitivo-comportementalistes. Curieusement, il s’est avéré que la psychothérapie interpersonnelle se conformait encore plus au prototype de la thérapie cognitivo-comportementale qu’au sien propre. Il n’est donc pas étonnant du tout que ces deux modes de thérapies arrivent à des résultats semblables dans ce programme de recherche ! Cela rejoint d’ailleurs une réflexion d’I Elkin, dès 1992, qui remarquait que, dans cette étude multicentrique, tel pôle constatait un avantage pour les TCC et tel autre pour les TIP14. Jusqu’à présent, on pensait que ces deux thérapies étaient très différentes quant à leur processus, tout en arrivant à peu près au même résultat. La conclusion d’Ablon et de Jones, c’est que ces deux types de thérapies procèdent en fait assez similairement : à processus équivalents, résultats équivalents.

Ablon et Jones poursuivent leur réflexion : on peut imaginer que les thérapeutes se référant à des thérapies distinctes (portant des noms différents) ont un langage bien différencié, mais qui pourrait en fait décrire des processus identiques. Les traitements peuvent apparaître alors différents en surface, mais si l’on examine vraiment ce qui se passe durant les séances de traitement, on pourrait s’apercevoir qu’il y a de nombreuses caractéristiques communes, comme cela est illustré dans cette étude. À ce propos, Ablon, Jones et Katzenstein décrivent une étude récente où l’on a demandé à des cliniciens issus de formations théoriques différentes de lire un entretien, d’identifier l’orientation du psychologue anonyme et d’établir le degré avec lequel ils pouvaient être en accord avec sa position. On avait demandé au psychologue, un comportementaliste célèbre, de décrire avec sa propre terminologie comment son orientation abordait cliniquement les problèmes posés par une agoraphobie. La plupart de ceux qui ont répondu dans l’étude ont pensé que le psychologue était d’orientation psychodynamique. De plus, ceux qui avaient une orientation psychodynamique ont été plus en accord avec les façons de penser du psychologue comportementaliste que ceux qui étaient d’orientation comportementaliste ! On peut imaginer d’autres études de ce type qui pourraient être intéressantes aussi pour spécifier nos types de psychothérapie. Ainsi, dans l’International Gestalt Journal, une telle étude a été réalisée. Même entre psychothérapeutes se référant à une même théorie, cela a de l’intérêt.
Une autre explication potentielle, selon Ablon et Jones, se situerait au niveau de la participation du patient. Dans ces études, on ne regarde souvent que l’intervention du thérapeute qui entraîne un changement du patient. C’est le principe même de ces essais contrôlés en psychothérapie. Mais la réalité est que le thérapeute est aussi affecté par son patient. Ablon et Jones postulent que la contribution du patient est en fait dans cette étude une variable indépendante encore plus puissante pour le résultat du traitement que celle du thérapeute ou du type de traitement.
Enfin, si l’on examine les contenus, il existe une différence entre ceux relevés par les thérapeutes cognitivo-comportementalistes et ceux relevés par les thérapeutes interpersonnels. Cependant, la nature des interactions entre thérapeute et patient pourrait être similaire. Par exemple, les thérapeutes peuvent avoir un rôle d’autorité, en encourageant leurs patients, même si les contenus sont différents. Il est bien connu en effet qu’il y a dans chaque dialogue, le contenu et l’indication de la modalité de la relation entre les protagonistes.

Cette étude jette un trouble sur la méthode royale des essais contrôlés en psychothérapie. En effet pour que ces essais aient un sens, encore faut-il qu’ils comparent des traitements véritablement distincts ! Il se pourrait qu’en fait on ne puisse pas contrôler comment les traitements sont réellement appliqués. En effet, même avec des gens formés, entraînés à réaliser des thérapies guidées par des manuels, ce qui était le cas dans cette étude, quelque chose échappe au contrôle. La réalité clinique semble donc que les thérapeutes utilisent des ressources autres que leurs propres références théoriques, et l’on peut sans doute s’en féliciter. Les études contrôlées, telles qu’elles ont été mises en œuvre, seraient donc seulement capables de dire si un traitement est efficace, mais sans qu’il soit possible de dire ce qui a permis le changement du patient.

De cette étude, je retiendrai que la méthode des essais contrôlés n’est pas la méthode scientifique de référence en psychothérapie, dans les conditions mises en œuvre jusqu’à présent. Sous les apparences d’une rigueur extrême, liées en grande partie à la rigueur mathématique de l’outillage statistique mobilisé, les études réalisées jusqu’à présent n’offrent strictement aucune garantie sur ce qui a réellement été testé, au-delà du « nom de marque » de psychothérapie utilisé par les thérapeutes et les expérimentateurs. Il ne s’agit pas de contester la nécessité d’une approche rigoureuse, contrôlée, de l’évaluation des psychothérapies, mais d’exiger une rigueur dans la mise en place des protocoles, ce qui est loin d’avoir été le cas jusqu’à présent.
Même lorsque des thérapeutes se réfèrent à une théorie spécifique, ils vont chercher d’autres théories en fonction de la situation qu’ils rencontrent. Cela pose évidemment la question de l’importance de l’existence de différentes formes de psychothérapie et du statut des variables « agissantes » (en particulier, les caractéristiques du patient et de son investissement, si fréquemment oubliées !). Cela pourrait vouloir dire, qu’aucune thérapie n’est « idéale », mais que chacune offre une façon de réfléchir, de penser et est donc utile. Il existe encore beaucoup d’autres hypothèses à explorer autour du « Dodo bird verdict ». C’est de ce côté, celui des systèmes « réels » et pas « virtuels idéaux » que doit aujourd’hui se tourner la recherche. Recherche qui pourrait – devrait - être, comme Wendy Hollway16 en parle, un processus créatif, complexe, où règne l’ouverture d’esprit. C’est en cela qu’on pourrait la qualifier de scientifique.

Notes et références

  1. Tous les articles cités dans ces lignes sont référencés dans les deux articles de Ablon et Jones : J. Stuart Ablon, Enrico E. Jones : Validity of controlled Clinical Trials of Psychotherapy : Findings from The NIMH Treatment of Depression Collaborative Research Program. In Am J Psychiatry 2002 ; 159 : 775-783.
    Voir également J. Stuart Ablon, Ph.D., Enrico E. Jones, Ph.D., and Tai Katzenstein, B.A.: Psychotherapy and controlled clinical trials : a square peg and a round hole
  2. Test en environnement expérimental d’une procédure thérapeutique définie sur un groupe de patients.
  3. Le groupe traité est comparé à un groupe ne recevant pas de traitement, dit groupe « contrôle » qui permet de comparer l’écart traitement/non traitement.
  4. Les patients sont adressés dans un groupe de traitement ou un autre au hasard, ce qui permet de réduire le risque (si leur nombre est relativement élevé) d’avoir tous les « bons » cas dans un groupe et les « mauvais » dans un autre.
  5. Le patient ne sait pas s’il reçoit ou non le traitement testé.
  6. Ni le patient ni le thérapeute ne savent si le patient reçoit ou non le traitement testé. Cette procédure est impossible à mettre en œuvre dans le cas des psychothérapies. Comment en effet le thérapeute ne pourrait-il pas connaître la méthode thérapeutique qu’il utilise ?
  7. Selon les critères de la science « positive » selon laquelle ce sont les faits expérimentaux testables du monde naturel qui déterminent la vérité scientifique.
  8. Y pouvant être éventuellement « pas de traitement ».
  9. J. Stuart Ablon, Enrico E. Jones : Validity of controlled Clinical Trials of Psychotherapy : Findings from The NIMH Treatment of Depression Collaborative Research Program. In Am J Psychiatry 2002 ; 159 : 775-783
    J. Stuart Ablon, Enrico E. Jones, Tai Katzenstein : Psychotherapy and Controlled Clinical Trials : A Square Peg and a round Hole, disponible sur Internet à l’adresse suivante : http://www.mgh.harvard.edu/endowment/third.asp?page=research&page2=researchpub
  10. Voir pour définitions « arrêt sur image 6 »
  11. Elkin I., . THE NIMH Treatment of Depression Collaborative Research Program. Background and research plan. Arch. Gen. Psychiatry.,1985 Vol 42, p : 305-316
  12. Elkin I., . THE NIMH Treatment of Depression Collaborative Research Program. General effectiveness of treatments. Arch. Gen. Psychiatry.,1989 Vol 46, p : 971-982
    Elkin I. Études multicentriques : avantages et inconvénients. In Recherches cliniques « planifiées » sur les psychothérapies, méthodologie. Éditions Inserm 1992
  13. The IGJ Transcript Project in International Gestalt Journal, Volume 26, Number 1, 2003
  14. Wendy Hollway : An Appropriate Research Paradigm for Evaluating Psychoanalytically – Informed Practices Article à paraître in International Journal of Infant Observation and its Applications, Summer 2004, disponible sur Internet.


Dernière mise à jour : 16/11/04
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