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Espace Cliniciens

Editorial Juin 2017.

Une thèse de Sciences Cognitives à partir de la litterature internationale et des etudes de cas du RRFPP : Caractériser et Comprendre le Processus de Changement des Psychothérapies Complexes.

Modélisation des processus, mécanismes et conditions des changements associés à la psychothérapie de 66 enfants et adolescents présentant des troubles du spectre autistique.

(Thèse de Sciences Cognitives soutenue le 31 mai 2017, par Jean-Michel Thurin)

Cette thèse est présentée ici en éditorial car elle représente une étape importante du travail engagé à la suite de l'expertise collective Inserm (2004). Elle présente une alternative à la méthode des essais contrôlés randomisés, inadaptée au niveau même de son paradigme de référence pour les psychotherapies complexes, et qui a imposé une perspective de la causalité et des résultats dont les limites ont été décrites dès le départ (1986). La nouvelle approche qui est développée dans cette thèse donne toute sa place à une véritable recherche clinique, élaborée sur des bases scientifiques solides à partir des 30 dernières années de publications sur la recherche associant le processus de la psychothérapie aux résultats. La recherche clinique a été menée à partir des études de cas menées issues de la pratique de thérapeutes "de terrain".

Présentation du document de thèse.

Avant de commencer, je souhaite d’abord remercier les membres du jury d’avoir accepté de participer à cette soutenance ainsi que mon directeur de thèse Bruno Falissard et les membres de mon comité de thèse David Cohen et Nicolas Georgieff pour leur accompagnement et leur soutien tout au long de ce doctorat.

Je remercie également les personnes présentes pour l’intérêt qu’elles portent à mon travail.

Cette soutenance est l’aboutissement d’une recherche menée sur l’évaluation des psychothérapies depuis les années 90. Elle a pris un tournant opérationnel majeur à la suite de l’expertise collective Inserm de 2004 à laquelle j’ai participé avec B Falissard et dont la critique méthodologique a conduit au développement d’un réseau de recherches cliniques dont sont issues les études intensives de cas auxquelles cette thèse fait référence.

La thèse que je soutiens devant vous porte sur l’introduction de la recherche processus-résultats en psychothérapie, ce qui l’a imposée - le caractère restreint des connaissance sur la causalité des changements en psychothérapie - , ce qu’elle a impliqué - l’évolution du paradigme de la recherche et le renouvellement des méthodes d’analyse à partir d’études de cas à fort niveau de preuve -, et ce qu se trouve ici questionné - la possibilité d’en appliquer les principes aux processus de changement d’une population clinique -.

Cette possibilité a été mise à l’épreuve à partir de l’analyse de 66 psychothérapies conduites avec des enfants et adolescents souffrant de troubles autistiques, dont le processus de changement a été suivi et analysé sur une période d’un an. Ces psychothérapies ont été menées en conditions naturelles par des praticiens expérimentés de différentes orientations, la plus représentée dans ce travail étant psychanalytique.

L’objectif de cette thèse est d’élargir la base des connaissances, et de faciliter le développement d’études de ce type - encore rarement réalisées -, de montrer la possibilité, l’importance et le caractère indispensable de la collaboration cliniciens - chercheurs, et d’encourager les cliniciens à s’engager pour aller plus loin dans la recherche clinique qui s’est révélée être aussi un formidable appui dans le champ complexe de l’autisme.

Ma thèse comprend quatre parties

- La première partie présente, à partir d’une revue de la littérature centrée sur l’introduction et le développement de la recherche sur le processus associée aux résultats, comment le paradigme interactionnel multifactoriel de la psychothérapie s’est imposé dans le contexte de l’EBM et a stimulé le développement de méthodes centrées sur la causalité des changements adaptées à la complexité de l’action thérapeutique en psychothérapie, telle qu’elle est réalisée en conditions naturelles.

- La seconde partie précise les aspects méthodologiques généraux et spécifiques de cette nouvelle orientation, à partir de deux axes principaux :

1. le premier axe est épistémologique : le processus interne de la psychothérapie est constitué d’interactions et de transactions entre le patient et le thérapeute. Par transaction, je fais référence à la nature dialogique des échanges verbaux et préverbaux entre le patient et le thérapeute. Le paradigme de l’action thérapeutique se distingue ainsi nettement de celui du modèle médical classique (un agent prescrit, une effet produit). Et, par extension, celui de l’efficacité, en y intégrant la chaine causale qui la sous-tend ;

2. le second axe est méthodologique, avec 4 caractéristiques :

- La troisième partie expose en détail la méthodologie qui a été appliquée dans le réseau de recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques, du recueil des données jusqu’à l’analyse des processus et mécanismes de changement. Cette méthodologie conduit, par différentes voies, à une modélisation de l’action thérapeutique dans différentes configurations, de sa conception à sa réalisation. Sur cette base, je présente les premiers résultats qui en sont issus au niveau méthodologique, mais aussi les effets proprement dits sur les comportements, le développement et fonctionnement de l’enfant à partir des psychothérapies réalisées.

- La quatrième partie présente une revue historique détaillée de la littérature.

Je précise maintenant les principaux points soulevés

• Premier point. Le modèle Interactionnel / Transactionnel Intrinsèquement bi-personnel ou dyadique, le modèle interactionnel met l'accent sur les processus réciproquement influents en psychothérapie (i.e, ce modèle reconnaît explicitement l'influence des caractéristiques spécifiques du patient, de ses comportements et de ses représentations mentales sur le thérapeute et sur le développement du processus thérapeutique émergent).

Au delà de la description de ces interactions, se pose la question de l’ajustement des réponses du thérapeute et de son effet sur les résultats.

La conception transactionnelle considère que les processus et espaces de changement se définissent mutuellement, plutôt que par une simple interaction. Cette conception conduit à l’examen des configurations qui permettent ou qui obèrent le changement, et à celui des changements de configuration accompagnent le processus d’évolution.

• Deuxième point. Les études de cas de nouvelle génération

Elles peuvent assurer un niveau de preuve élevé. Kazdin revient à de nombreuses reprises sur le fait que « Les études quasi expérimentales de cas individuels peuvent permettre d’obtenir des niveaux de preuve sensiblement similaires à ceux des études expérimentales ».

Dans quelles conditions et pourquoi ?

D’abord, ces études doivent reposer sur des données objectives au lieu d’informations anecdotiques ; des mesures claires, issues d’un recueil systématique des données à plusieurs reprises, sont nécessaires pour attester du fait que des changements ont effectivement eu lieu. Ces changements doivent concerner un problème stable et des cas multiples.

Il faudra veiller par ailleurs à ce qu’une autre explication que le traitement ne puisse expliquer les résultats.

La réplication des cas est indispensable. Essentiellement, chaque cas peut être vu comme une réplication de l’effet originel qui a semblé être le résultat d’un traitement. Plus il y a de cas qui s’améliorent avec le traitement, moins il est probable qu’un événement externe soit responsable du changement. Des événements externes ont probablement varié parmi les cas, et ce qui est partagé, à savoir le traitement, devient la raison la plus plausible des changements thérapeutiques.

Avec un échantillon de patients hétérogènes, la probabilité qu’une menace particulière à la validité interne (histoire, maturation, régression statistique) qui puisse expliquer les résultats se trouve réduite. L’analyse inter-cas issue des réplications établit la même fonction que celle du groupe contrôle dans les études expérimentales de groupe : les effets du traitement deviennent l'interprétation la plus plausible et parcimonieuse des résultats.

Un autre aspect renforce les conclusions issues de la réplication, c’est que l’évolution longitudinale des effets s’inscrit dans une logique explicative cohérente.

• Troisième point. L’approche causale de la psychopathologie et de l’action thérapeutique -

Kazdin, Kraemer et al. engagent en 1997 un tournant méthodologique majeur en donnant à l’approche « facteurs de risque » une orientation élargie à celle des facteurs de « protection », « réparation », « construction » à partir de la psychopathologie développementale. Cette nouvelle orientation prend en compte le fait que :

Cette approche associe le niveau des dysfonctionnements aux manifestations pathologiques et à leurs causes. C’est une première étape importante. Ce qui l’est encore davantage, c’est d’y associer les actions développementales et thérapeutiques qui leur correspondent.

La ou les chaînes causales qui conduisent aux résultats se trouvent ainsi conçues sous la forme d’hypothèses, destinées à être éventuellement déjà testées au cours du processus de traitement, puis à faire l’objet de procédures de consolidation des premières observations. Ce programme est précisé et complété par une série d’articles publiés sur une douzaine d’années

• Quatrième point. L’élargissement de la portée des batteries d’évaluation

L’attention portée aux processus de changement et aux mécanismes qui les sous-tendent conduit naturellement à une recherche sur les dysfonctionnements et leurs causes et, réciproquement, à ce que peut indiquer une évolution vers un fonctionnement « normal » dans un processus de récupération et de développement.

Les batteries d’évaluation doivent permettre de suivre cette évolution et apporter des pistes pour la comprendre. Dans cette perspective quatre instruments sont nécessaires pour évaluer un processus de changement : la formulation de cas, un instrument centré sur les symptômes et les comportements, un instrument centré sur le processus développemental et un instrument décrivant les ingrédients et la « vie » du processus interne de la psychothérapie dont les acteurs sont le patient, le thérapeute et leurs interactions.

• Cinquième point. L’articulation de l’étude de cas individuel et de l’étude statistique

Elle respecte ce que chacune des méthodes apporte.

La distinction entre l’exploratoire qui serait la fonction de l’étude de cas et le confirmatoire qui serait celle des études de cas regroupés n’est pas nette. Les études observationnelles (sans manipulation) peuvent être utilisées à la fois pour générer et tester des hypothèses. L’observation passive peut être utilisée pour vérifier des hypothèses à partir d’une variation concomitante, hypothèses qui sont souvent hautement pertinentes pour des résolutions causales (Kazdin 2014).

Une des questions qui a été la plus travaillée est celle des corrélations statistiques qui devraient attester de l’importance d’une intervention spécifique pour un problème donné. De nombreuses études ont cherché à comprendre pourquoi cette corrélation ne se retrouvait pas systématiquement. Il en est ressorti que l’intervention spécifique prend en compte un ensemble de paramètres qui ne sont pas nécessairement communs chez les personnes qui souffrent d’un problème similaire.

L’ajustement du thérapeute intervient pour tirer le meilleur parti, au meilleur moment, des différences individuelles et le chemin causal qui conduit au résultat s’en trouve modifié. Tout cela n’apparaît pas nécessairement dans le regroupement des cas qui éclaire ce qui est commun, et qui en plus peut l’être à des degrés divers.

Sur ces bases, nous voici parvenus au chapitre application.

Il présente les méthodes qui, en relation avec les résultats, peuvent être mises en oeuvre pour cerner « pourquoi, comment et dans quelles conditions » la psychothérapie d’un trouble complexe peut être efficace. Il ne s’agit plus ici d’opérer de façon globale en testant sur un groupe une approche par rapport à une absence de traitement ou à une autre approche.

Six méthodes issues de la littérature sont proposées dans la thèse. Elles sont à prendre comme des moyens simples, très proches de l’exercice clinique, de formaliser les opérations mentales et les interventions qui conduisent à un changement significatif.

L’instrument de processus permet d’établir le lien entre ce qui est conçu et actualisé dans l’action thérapeutique. Si l’action, dans ses différentes composantes objectivées par les instruments a été adaptée, l’effet doit se retrouver dans le résultat.

Le principe général qui sous tend ces méthodes est le suivant. Il s’agit :

Dans chacune de ces approches, des cas similaires sont recherchés, les résultats et les hypothèses sur lesquels ils sont fondés examinés.

Concernant les résultats proprement dit des psychothérapies

Les résultats généraux ont été présentés et discutés en détail dans l’article de 2014 dans Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence. Les courbes d’évolution moyenne des 66 enfants montrent une évolution favorable similaire à celles se rapportant aux 50 premières psychothérapies évaluées. Il apparaît que ces résultats quantitatifs peuvent être considérablement enrichis par une description qualitative des items issus des différents instruments concernés par le changement et de leurs configurations initiales et ultérieures.

Tout ce qui précède conduit à une conclusion simple : nous avons besoin d’avoir des résultats précis pour pouvoir prétendre à dire quelque chose sur les processus de changement et leurs mécanismes. Ces résultats précis peuvent être obtenus à partir des études de cas, en allant au delà des résultats purement quantitatifs et en utilisant les possibilités d’une approche mixte issue de la formulation de cas et des énoncés d’instruments à forte dimension clinique.

Le résultat n’est pas une fin, mais un indicateur qu’une activité spécifiée a produit un effet en relation à la causalité qui sous tend ses expressions pathologiques, sur un cas ou un profil de cas. Si elle ne produit pas ou peu d’effet au regard de cas similaires ou dans un domaine spécifique, il faut essayer de comprendre pourquoi. Kazdin fait largement référence aux travaux de Patterson sur les troubles des conduites montrant le cercle vicieux qui peut s’établir entre le comportement de l’enfant et les réponses inadaptées que lui donne l’entourage. Dans le même ordre d’idée, les observations détaillées des 66 enfants nous confrontent à un décrochage de leur trajectoire d’évolution par rapport à celle d’enfants du même âge et à l’influence que peut avoir l’insécurité associée à une situation contextuelle particulièrement difficile ou, comme cela a été avancé, à des difficultés pré ou périnatales particulières (modérateur).

Mais l’analyse des cas nous conduit surtout à constater la réduction importante de comportements pathologiques et le développement relativement rapide d’aptitudes relationnelles s’exprimant dans l’interaction sociale, l’expression et le partage émotionnel, la communication, la relation aux objets, la réduction de l’intolérance au changement, et le regard. La compréhension de ces évolutions et la modélisation des facteurs qui peuvent les expliquer devient alors, comme nous l’avons déjà souligné plus haut, non seulement un objectif mais une apport important pour la pratique et la théorie.

Pour conclure,

Comme le soulignent Mesibov et Shea (2011), à partir d’une critique solide des principaux éléments qui caractérisent la pratique fondée sur la preuve classique, il n’y a pas une « vérité » qui déterminerait facilement ce qui est efficace pour les troubles autistiques. Ce qui leur apparaît essentiel, c’est que tous les principes et les techniques d'intervention, doivent être individualisés avec chaque patient et ensuite évalués pour leur efficacité dans cette situation unique qui est celle du soin et de l’éducation. Beaucoup d’études restent à faire pour comprendre par quels chemin et à quel niveau se produisent les changements au cours de la psychothérapie d’un enfant autiste.

Un point me paraît essentiel à souligner, c’est l’apport que représente la participation directe des cliniciens à une recherche qui aborde les questions centrales qui se posent quotidiennement dans le champ de l’autisme « Qu'est-ce qui fonctionne ? Pourquoi ? Comment ? Pour qui ? Qu'est que l’on pourrait faire pour que cela fonctionne encore mieux?

L’introduction d’une méthodologie qui permet de constituer des bases observationnelles solides, de formaliser les hypothèses et de réaliser une première analyse fondée des paramètres qui ont conduit au résultat, qu’il soit bon ou moins bon, est une première étape pour y répondre. La seconde étape, qui est rendue possible par la réplication et l’existence d’une base de données, permet des comparaisons cas à cas et inter-cas centrées sur des questions particulières. Les réponses peuvent venir de différents protocoles, en tenant compte du nombre de cas et de la réduction qui s’opère du fait de l’hétérogénéité des cas, comme présenté dans cette thèse.

Dans cette perspective, l’évaluation - dont la conception initiale avait produit beaucoup de défiance et une rupture entre clinique et recherche - devient une expérience de recherche qui pourra être prise en compte au début d’une autre psychothérapie réalisée par un autre thérapeute, et plus largement.

La mutualisation des expériences et des connaissances issue de la recherche clinique réalisée en groupes de pairs, puis discutée en groupe élargi, est un point fort de ce qu’a produit le réseau. Cet abord nous semble être une façon d’apporter encore plus de sens à la pratique, laquelle en donne déjà énormément par la relation qui s’établit avec un patient souffrant d’autisme.

Je remercie à nouveau mon jury de m’avoir écouté, ainsi que les personnes présentes et tout particulièrement les cliniciens, français ou italiens, dont certains sont ici présents.


Dernière mise à jour : dimanche 11 juin 2017
Dr Jean-Michel Thurin